Souvenirs d’une éleveuse des années 60 -Madame Antonine Lachaize – Chatterie de Fernine
Remercions d’abord Madame Vivat d’avoir demandé à Madame Vazeille d’accepter de me recevoir, elle qui vit recluse dans son pavillon d’une petite ville proche de Clermont-Ferrand depuis de longues années,elle qui n’apprécie pas trop que l’on vienne la déranger. Et puis, quoi de plus triste que tous ces souvenirs d’une époque heureuse et bénie où ses chartreux la comblaient, alors qu’elle se refuse le plaisir d’un nouveau petit chartreux de crainte de laisser un malheureux minet orphelin…
Qui ne se rappelle ’avoir lu dans le pedigree de son chat le nom de la chatterie de Fernine, ou bien celui de Jimmbo, ou encore ceux de Pensylva Julia et Noëlle Joyeuse ? Ils apparaissent si souvent sur toutes les branches…
C’’est à Monsieur et Madame Lachaize que nous les devons ! Ainsi que me disait avec humour cette dernière : «Nous avons divorcé, mon mari et moi, mais s’il y a une chose sur laquelle nous nous entendions toujours bien, c’est bien quand il s’agissait de nos chats !» Le choix même de leur nom de chatterie est le reflet de cette bonne entente : du mariage de leurs deux prénoms, Fernand et Antonine, est né l’affixe… Fernine !
Des chats, il y en a toujours eu chez Madame Lachaize, mais de bons chats de gouttière, tigrés, roux ou blancs… Un jour, elle tombe en extase devant un chartreux dans une exposition : c’est la révélation ! Elle en veut un de cette race ! Prudent, son époux lui dit de prendre plutôt un mâle : c’est plus facile, et on ne risque pas de se trouver avec des chatons non désirés… Elle se renseigne sur l’élevage le plus proche (ils habitent Chamalières) et apprend qu’il existe un élevage à Clermont-Ferrand, à deux pas… C’est l’élevage de Bertouget.
Rendez-vous est pris très vite avec l’éleveuse, Madame Decorps : elle a justement des chatons en ce moment. Sur place, quelle n’est pas la surprise de Madame Lachaize de voir des chatons bleus et d’autres…noirs ! Mais ceux-ci sont magnifiques et elle est bien tentée par eux… C’est alors qu’un minuscule chaton bleu, bien moins beau que les noirs, accourt vers Madame Lachaize en ronronnant. Et en plus, c’est une petite femelle ! Mais comment résister à ce qui semble être un coup de foudre ? Puisque c’est cette petite chatte qui a fait le premier pas, c’est elle que Madame Lachaize choisira. Cette petite chatte s’appelle Idole de Bertouget et nous sommes en mai 1959…
Idole grandit – on l’appelle «Didou» -, le couple Lachaize se prend à rêver d’une portée de petits bleus (comme nous les comprenons !…) et ils se mettent en quête d’un étalon. Ils comprennent vite que ce sera bien difficile, car la France est pauvre en chartreux en cette année 1960. Entre-temps, ils se sont inscrits au Cat Club et Madame Ravel, redoutable présidente du Cat Club de Paris et de la FFF, leur déniche la perle rare… Elle les oriente vers Monsieur et Madame Lucas, des particuliers grands amateurs de chartreux, habitant Paris, et dont la chatte vient d’avoir une portée. Dans cette portée, il y a un petit matou très prometteur, selon Madame Ravel qui s’y connaît bien ! Et c’est comme ça qu’en cette fin d’été 1960, Jimmbo entre dans la vie de Madame Lachaize. Il ne la quittera pas durant les dix-neuf années suivantes… Sa place favorite ? Sur son épaule!… Les photographies de ce beau chat hantent les murs du petit salon de Madame Lachaize : c’était vraiment un chartreux magnifique ! Rien d’étonnant à ce qu’il ait tant eu de succès en exposition et en élevage, à une époque où les chartreux «français» manquaient tant !
Très rapidement, la fièvre de l’élevage gagne les époux Lachaize et ils cherchent une autre petite femelle. Mais vu la pénurie de sang chartreux sur le territoire français, ils orientent délibérément leurs recherches dans la verdoyante campagne du Surrey, en Angleterre, chez Madame Richards, l’éleveuse de la chatterie «Pensylva». Même si les Lachaize ne sont pas des anglophiles à tout crin, ils reconnaissent aux Anglo-Saxons une grande qualité : ils ont un programme d’élevage commun et décident d’introduire très officiellement et de manière calculée et autorisée du persan à intervalles bien définis dans leur élevage de «chartreux» (british shorthair bleu), afin de renouveler le sang et d’améliorer régulièrement la qualité de la fourrure et la couleur des yeux. Et le résultat est attesté, surtout si on le compare au chartreux français dénaturé par la consanguinité : des chatons magnifiques en bonne santé, une très belle fourrure de «loutre», des yeux d’un or profond superbes…
Et voilà que la belle Pensylva Julia arrive à Chamalières à la chatterie de Fernine au début de l’été 1963. Elle aura un succès foudroyant en exposition, allant même jusqu’à gagner le premier prix en chartreux à l’exposition de Paris en 1964. Sur une photo, on la voit, jolie frimousse «britannique» aux yeux un peu ronds et au léger stop nasal, mais une allure générale magnifique, hiératique, qui, combinée au «vrai» chartreux Jimmbo, allait donner une descendance réussie et…prolifique !
La mode –et surtout le goût de Madame Lachaize !- allant plutôt à la robe claire (et Jimmbo était foncé), c’est Pensylva Noëlle Joyeuse, une mignonne british shorthair bleu crème qui rejoint quelques années plus tard, en 1967, le «staff reproducteur» de l’élevage de Fernine (qui n’a finalement jamais compté que quatre chats : Idole de Bertouget, Jimmbo, Pensylva Julia et Noëlle Joyeuse), car Madame Lachaize espère bien obtenir de ce mariage bleu foncé-bleu crème des chatons à la robe bleu clair … Et c’est bien le cas.
Plus tard, deux autres chartreux complèteront la famille, mais ce sont des chartreux «maison», puisque Rosine de Fernine, née en décembre 1968 (c’est un cadeau que s’offre Monsieur Lachaize pour son «petit Noël» !) est la fille de Jimmbo et de Noëlle, et que Volvic de Fernine est né en 1972 de la dernière portée de Julia (et de l’élevage de Fernine !) avec Michou de Fernine, fils de Noëlle et de Jimmbo. Pourquoi une portée avec un autre étalon que Jimmbo ? Tout simplement parce que ce beau matou, trop vieux sans doute (il avait douze ans), avait beau couvrir ces dames tant qu’il pouvait, ses saillies ne portaient plus de «fruits» ! Et Madame Lachaize avait demandé à la propriétaire de Michou, Madame Bastide de l’élevage de Saint-Pierre, de lui prêter son «petit» pour la dernière portée de Julia…
Tous ont fait une belle carrière en exposition : je l’ai constaté au vu de leurs certificats de championnat et de championnat international que me montrait avec fierté l’ancienne éleveuse. Vichy, Paris, Ambérieu, Lausanne, Bruxelles, Verviers, Turin…le vrai tour d’Europe du chat de race !
Hormis Noëlle, sans doute plus fragile et morte d’un cancer à 13 ans, tous les chats de Madame Lachaize ont vécu entre 17 et 20 ans. Jimmbo, lui, est resté «entier» jusqu’à la fin, en 1979, ne quittant guère les épaules de Madame Lachaize qui se souvient, émue, des moments privilégiés où elle donnait le biberon au premier de ses petits-enfants avec le vieux matou qui lui ronronnait sa déclaration d’amour à l’oreille… Rosine et Volvic n’ont jamais reproduit : ils ont honoré encore très longtemps, bien longtemps après la fin de l’élevage de Fernine en 1972, de leur présence chartreuse la mémoire de leurs célèbres ascendants et de toute leur parentèle féline… Mais Madame Lachaize n’a élevé que très peu de chatons, elle se souvient encore de toutes ces portées et l’on voit sur le mur au-dessus de son canapé, dans un beau cadre doré, une Pensylva Julia entourée de sept merveilleux bébés facétieux… Et elle se rappelle encore le déchirement éprouvé à chaque fois qu’un chaton quittait sa maison. Ce sont des raisons professionnelles qui l’ont obligée à arrêter l’élevage, mais sans doute a-t-elle éprouvé quelque soulagement à ne plus vivre ce tristesse de la séparation sans cesse renouvelée… Aujourd’hui encore, elle vit dans le souvenir de ses chats, Didou, Jimmbo, Julia, Noëlle, Rosine, Volvic, ils envahissent tous les murs de sa petite maison, seuls, en couple ou en groupe, veillant sur ses vieux jours comme ils ont veillé de leur vivant sur son foyer et sa famille… Plus de chartreux aujourd’hui, mais, ironie du sort ? un vieux chat de gouttière est apparu il y a quelques mois à sa porte, mendiant d’abord une caresse, puis de quoi manger…pour s’installer définitivement chez elle ! Renseignements pris auprès du voisinage, elle a su qu’il appartenait à une famille qui venait d’avoir un jeune chien peu amical avec les chats : ils étaient ravis que leur vieux matou se soit «recasé» de lui-même dans un foyer aimant. Et… savez-vous quoi ? Ce matou… il est…bleu !
Par Claire Lucciano, ancienne présidente du CAC – 2014