Plusieurs thèses à propos des origines du chat des chartreux se rejoignent, s’affrontent, se contredisent… Ce n’est pas dans mon propos de les citer toutes, mais je retiendrai tout de même deux hypothèses : ce chartreux est-il tout simplement la forme bleue et aboutie par la sélection de notre chat européen (de gouttière) ou bien est-il le descendant d’une race importée d’un lointain pays par nos ancêtres voyageurs ou croisés ?
Avant de répondre à cette question, il est important de remercier Monsieur Simonnet qui, dans son livre « Le chat des chartreux », s’est livré à une enquête minutieuse, détaillée, riche de témoignages personnels. Son étude comparative des caractéristiques du chat des chartreux et du chat européen bleu permet de conclure que ces deux races sont bien distinctes. En outre, bien que le bleu soit la couleur la plus répandue dans toutes les races existantes, c’est une couleur qui reste rare chez le chat européen, au point que lorsqu’un chat gris est aperçu dans les rues ou les campagnes, il est tout de suite assimilé à un chartreux par celui qui le voit.…
Certaines régions de France semblent toutefois être ou avoir été plus riches en chats européens gris que d’autres où ils n’existaient quasiment pas : Paris, certaines îles bretonnes (Belle Ile, Bréhat), le Massif Central…
Quelles que soient les thèses proposées pour son apparition et pour l’origine de son nom, on notera que l’appellation « chat des chartreux » est déjà employée dès la fin Moyen-Âge pour qualifier communément le chat de couleur bleu-gris. Il est référencé pour la première fois dans le « Dictionnaire Universel du Commerce, d’Histoire Naturelle et des Arts et Métiers » de Savarry des Bruslons, paru en 1723 et, bien entendu, Buffon le cite dans sa célèbre Histoire Naturelle Universelle.
Selon certaines versions, la structure particulière de la fourrure du chartreux serait un héritage de ses ancêtres originaires de Syrie ou des zones montagneuses des confins de la Turquie et de l’Iran. Contrairement à ce que prétend la rumeur, le nom ne vient pas des moines qui auraient élevé ces chats : l’ordre des Chartreux a bien confirmé ne jamais s’être lancé dans un quelconque élevage de chats.;On pense plutôt que cette appellation provient de la similitude du pelage de ce chat avec une étoffe de la même teinte, fabriquée en Espagne, et que l’on appelait la pile des chartreux. Au Moyen-Âge, on parlait de chartreux surtout dans la ville de Paris, et en tant que « pourvoyeur » de viande de boucherie et de fourrure (le manchon en « petit gris » tant prisé par les dames…).
C’est aux demoiselles Léger, que l’on doit la « Renaissance » de l’élevage du chartreux au XXe siècle. Ces deux sœurs habitant Belle Île en Mer dans les années 20, passionnées de chats, avaient remarqué une forte densité de chats bleus vivant à l’état naturel sur cette île, chats qui présentaient, outre la couleur du pelage, toutes les caractéristiques du chartreux décrit dans les ouvrages anciens. Elle se lancèrent dans un programme d’élevage à partir de cette population féline naturelle protégée des influences continentales par l’insularité et connurent en 1933 avec l’aboutissement réussi de cette sélection le succès à l’exposition du Cat Club de Paris : la chatte « Mignonne de Guerveur » fut déclarée plus beau chat de l’exposition. Le chartreux « moderne » était né et l’engouement pour cette race s’empara des éleveurs félins français. Les vicissitudes de la guerre et de l’après-guerre portèrent un grave coup à cet élevage du chartreux encore trop fragile : tout comme dans de nombreuses autres races, les restrictions de guerre entamèrent les populations de chats de race, ce qui eut pour répercussion l’apparition de graves problèmes résultant de la trop forte consanguinité. De nombreux éleveurs furent obligés de recourir à d’autres races pour apporter du sang neuf à cette race sur le déclin, en se basant essentiellement sur la similitude de couleur du poil : le persan bleu, le Bleu russe, le British Shorthair bleu bien entendu, sans oublier les chats bleus ou noirs d’origine naturelle, que l’on retrouve dans la généalogie sous le terme de « feral ».
Malheureusement, les croisements trop souvent répétés avec le British Shorthair bleu eurent rapidement pour conséquence un amalgame inévitable des deux races jusqu’à ce qu’on ne puisse les dissocier l’une de l’autre. On en arriva même à un standard commun et, en 1970, la Fédération Internationale Féline les engloba sous une seule et même étiquette. Chronique d’une mort annoncée : notre « chartreux français » n’était plus!
Fort heureusement, une poignée d’éleveurs français (dont Monsieur Simonnet) se refusèrent à accepter cette idée et entreprirent un long travail d’étude et de recherche sur le tas pour prouver aux autorités félines que le chartreux était bien une race à part entière dont les caractères physiques et historiques étaient bien précis et différaient des autres races « bleues », en particulier de son « cousin » britannique. Ils surent se montrer convaincants, car, dès 1977, la FIFé reconnaissait officiellement son « erreur » de 1970 et rétablissait le chartreux en tant que race, avec son standard propre. Le chartreux reprenait la place qu’il n’aurait jamais dû perdre.
Par Claire Lucciano, ancienne présidente du CAC – 2015