LES CHARTREUX DU MASSIF CENTRAL

Souvenirs d’une éleveuse des années 60

Madame Anne-Marie VIVAT – Chatterie de Chantelauze par Claire Lucciano

Pourquoi certains éleveurs  de chartreux recoururent-ils à un certain moment à l'apport de sang d'autres

races dans l'élevage de chats de cette race? Etait-ce vraiment nécessaire pour sauver cette race? En allant interroger sur leurs méthodes d'élevage certains d'entre eux qui vivent encore dans le Massif Central, Claire Luciano a tenté de trouver des réponses à ces  interrogations. Deux témoignages sereins et sympathiques de cette période d'après-guerre si cruciale pour le chartreux ...

Après un an de correspondance avec Madame Vivat, au cours duquel je tentai à de nombreuses reprises de la convaincre de fouiller dans ses souvenirs et ses archives pour pouvoir répondre à mes questions sur son passé d’éleveuse, je reçois début avril 2004 un coup de fil de sa part : elle m’invite à venir lui faire une petite visite et accepte de se soumettre au feu de mes questions de passionnée du chartreux. Elle me prévient toutefois que le temps a bien passé et que ses souvenirs ne sont pas toujours très clairs ! Quelques jours plus tard, j’arrive à la porte de sa petite maison du centre-ville de …. Une vieille dame souriante aux cheveux blancs coupés très court m’ouvre et m’accueille avec beaucoup de spontanéité. Elle m’invite à entrer dans son séjour aux meubles anciens et imposants, sur lesquels s’épanouissent, dans des cadres, toute une série de visages d’enfants et de jeunes parents souriants et heureux. Nous prenons place autour de la table de salle-à-manger. Deux chats –un énorme matou de gouttière, tigré à souhait, et un croisé birman nettement plus fluet- occupent déjà les chaises placées de part et d’autre du radiateur : bon sang de chat ne saurait mentir ! «Comme vous pouvez le constater : pas de chartreux chez moi, et ce depuis de longues années déjà ! D’ailleurs, je ne pourrais plus m’offrir un tel luxe, vu le prix qu’on en demande aujourd’hui !»

Ponctué de mes questions, le récit de Madame Vivat commence…C’est en 1961 que la première chatte chartreuse, Ketty de Bertouget, arriva chez Madame Vivat. Comme pour tous les amateurs de chats (et chez les Vivat, on les aime…et les chiens, aussi !), ce fut le début d’une grande passion pour cette race. Le temps que la demoiselle s’épanouisse… et le virus de l’élevage gagna sa propriétaire. Fin 1963-début 1964, la Chatterie de Chantelauze prit son essor. D’autres chartreux vinrent rejoindre la première chatte. Les expositions et les portées se suivaient, Madame Vivat n’hésitant pas à partir aux quatre coins de la France et même par-delà les frontières pour exposer ses chats ou chercher des reproducteurs. 

Très rapidement, force fut de constater qu’il était difficile, voire même impossible, de trouver un «chartreux français» (l’expression revient à de nombreuses reprises dans la bouche de Madame Vivat…) qui ne soit pas trop apparenté à ses propres chats : tous étaient frères, demi-frères ou cousins germains ! Difficile donc d’échapper au fléau de la consanguinité…et à son retentissement sur la santé des chatons et l’aspect de la race elle-même. Les premiers chatons malformés apparurent rapidement, ces malformations étant surtout d’ordre osseux (en particulier au niveau de la queue), puis, dans un degré moindre, d’ordre digestif. Les portées devinrent aussi moins prolifiques et les chats «rapetissaient». La fréquence d’apparition des malformations s’accélérant (Madame Vivat se souvient d’une portée dans laquelle trois des chatons avaient une queue en «zig zag»), les éleveurs cherchèrent bien évidemment une parade à ce problème de consanguinité… mais Madame Vivat regrette encore aujourd’hui de s’être sentie si seule, si dépourvue de tout soutien des «hautes instances» (mais existaient-elles vraiment ?) pour l’épauler dans ces moments difficiles…

Tout le monde sait maintenant que c’est dans d’autres races qu’on trouva du «sang nouveau», Madame Vivat ne cite que le British Shorthair Bleu (qu’elle appelle aussi «chartreux anglais», parce qu’il ressemblait vraiment au «français» …et n’avait vraiment rien à voir avec le British Bleu d’aujourd’hui que l’on a tellement surtypé avec l’apport de Persan) et le Persan bleu, mais elle se souvient aussi parfaitement de «Diabolo», un superbe mâle de gouttière du plus beau et profond noir et aux yeux dorés, qu’une autre éleveuse du Massif Central avait vraisemblablement –mais dans le plus grand secret !- utilisé comme reproducteur…

Le sauvetage de l’élevage de Chantelauze, c’est à… Bonaventura Beau Brummel qu’on le doit. A l’évocation de ce nom, les yeux de Madame Vivat s’illuminent d’un éclat mouillé : c’est après une longue correspondance avec Madame Savage qu’elle s’est décidée à sauter le pas et à faire l’acquisition de son bel étalon british (euh…pardon : «chartreux anglais»), qu’un responsable du Cat Club lui ramène d’Ilford. Et elle n’est pas déçue en voyant arriver ce beau chat aux longues jambes, au corps puissant, aux belles oreilles bien placées, au nez droit et fort et aux yeux d’or cuivré… et surtout à la santé de fer ! A ma question de novice : «mais ce n’était pas un vrai chartreux ! Comment pouviez-vous être sûre qu’il ne gâcherait pas la race chartreux ?», elle me répond fougueusement : «si, c’était un… «chartreux anglais», le plus proche de notre «chartreux français», et vous savez, mon Beau Brummel, à part donner à mes chattes de splendides bébés en bonne santé, il a fait une magnifique carrière en exposition en tant que…chartreux !!!».

Beau Brummel et tous les autres British Shorthair Bleus introduits en France pour sauver notre «chartreux français», ce qui les différenciait surtout de ces derniers, c’était qu’ils étaient plus grands, plus longilignes… et avec une qualité de fourrure bien supérieure, le côté ramassé et court sur pattes du «modèle français» étant sans doute dû, dans les dernières générations, à la trop forte consanguinité…

Quant à leur tête, elle n’avait vraiment rien à voir avec celle du British actuel, bien au contraire, le museau était long et le nez droit. Quoi de plus naturel, donc, que d’aller chercher auprès d’éleveurs de cette race, en Angleterre, ces étalons et ces femelles reproductrices pour renouveler ce sang chartreux français si pauvre et sauver cette race en voie d’extinction…

Madame Vivat n’a eu que Bonaventura Beau Brummel comme «chartreux anglais». Il a «suffi» pour donner à la Chatterie de Chantelauze de nombreux descendants chartreux qui, pour certains, se sont illustrés en exposition et en élevage par leur beauté et leurs qualités. Mais beaucoup plus nombreux ont été les chats de Chantelauze qui ont fait le bonheur de particuliers et ont «sombré» dans l’heureux anonymat de la compagnie et de la vie familiale… D’ailleurs, Madame Vivat n’hésitait pas à céder à bas prix et sans pédigrée des chatons de toute beauté à des amateurs éclairés mais sans le sou ! C’est le bonheur de ses chats qui lui importait bien plus que la renommée de sa chatterie.

C’est d’ailleurs l’un de ces chatons, cédé sans pédigrée et très bon marché à une personne qui avait su faire vibrer la corde sensible de la bonne nature de Madame Vivat, qui fut, sans le savoir ni le vouloir, le pauvre, à l’origine de la cessation d’activité de Madame Vivat en tant qu’éleveuse. Elle s’aperçut un beau jour que ce chaton avait été utilisé à des fins d’élevage par cette personne peu scrupuleuse, qui avait trouvé encore moins scrupuleux qu’elle parmi les responsables du Club Félin local, puisqu’un pédigrée avait été demandé pour ce chat sous le nom réputé de Chantelauze sans qu’elle-même ne l’ait demandé!

Dégoûtée de tant de malhonnêteté, déçue par ce qu’elle considéra comme une traîtrise, elle quitta le club et arrêta son élevage.

Aujourd’hui, les seuls chartreux qui restent chez Madame Vivat sont ceux qui hantent ses souvenirs…et que je l’ai obligée à se remémorer par mes questions ! Pardonnez-moi, les beaux chats de Chantelauze, Beau brummel, Orka, Mirabelle, Jéricho, Joyau ou Tristan et tous les autres, retournez à votre sommeil éternel bien mérité ! Vous apparaissez dans les pédigrées de la plupart de nos chats d’aujourd’hui. Nous savons ce que nous vous devons, à vous, beaux minets, mais aussi à celle qui a décidé de votre venue au monde…

 

Merci, Madame Vivat.

LES CHARTREUX DU MASSIF CENTRAL

Souvenirs d’une éleveuse des années 60

Madame Antonine Lachaize-Vazeille – Chatterie de Fernine par Claire Lucciano

Quelque temps après madame Vivat, c’est Madame Vazeille (ex Lachaize) qui est à l’honneur dans notre série «Les Chartreux du Massif Central – Souvenirs d’une éleveuse des années 60» …

Remercions d’abord Madame Vivat d’avoir demandé à  Madame Vazeille d'accepter de me recevoir, elle qui vit recluse dans son pavillon d’une petite ville proche de Clermont-Ferrand depuis de longues années,elle qui n'apprécie pas trop que l’on vienne la déranger. Et puis, quoi de plus triste que tous ces souvenirs d’une époque heureuse et bénie où ses chartreux la comblaient, alors qu’elle se refuse le plaisir d’un nouveau petit chartreux de crainte de laisser un malheureux minet orphelin…

Qui ne se rappelle ’avoir lu dans le pedigree de son chat le nom de la chatterie de Fernine, ou bien celui de Jimmbo, ou encore ceux de Pensylva Julia et Noëlle Joyeuse ? Ils apparaissent si souvent sur toutes les branches…

C'’est à Monsieur et Madame Lachaize que nous les devons ! Ainsi que me disait avec humour cette dernière : «Nous avons divorcé, mon mari et moi, mais s’il y a une chose sur laquelle nous nous entendions toujours bien, c’est bien quand il s’agissait de nos chats !» Le choix même de leur nom de chatterie est le reflet de cette bonne entente : du mariage de leurs deux prénoms, Fernand et Antonine, est né l'affixe… Fernine !

Des chats, il y en a toujours eu chez Madame Lachaize, mais de bons  chats de gouttière, tigrés, roux ou blancs… Un jour, elle tombe en extase devant un chartreux dans une exposition  : c’est la révélation ! Elle en veut un de cette race !  Prudent, son époux lui dit de prendre plutôt un mâle : c’est plus facile, et on ne risque pas de se trouver avec des chatons non désirés… Elle se renseigne sur l’élevage le plus proche (ils habitent Chamalières) et apprend qu’il existe un élevage à Clermont-Ferrand, à deux pas… C’est l’élevage de Bertouget. 

Rendez-vous est pris très vite avec l’éleveuse, Madame Decorps : elle a justement des chatons en ce moment. Sur place, quelle n’est pas la surprise de Madame Lachaize de voir des chatons bleus et d’autres…noirs ! Mais ceux-ci sont magnifiques et elle est bien tentée par eux… C’est alors qu’un minuscule chaton bleu, bien moins beau que les noirs, accourt vers Madame Lachaize en ronronnant. Et en plus,  c’est une petite femelle ! Mais comment résister à ce qui semble être un coup de foudre ? Puisque c’est cette petite chatte qui a fait le premier pas, c’est elle que Madame Lachaize choisira. Cette petite chatte s’appelle Idole de Bertouget et nous sommes en mai 1959…

Idole grandit – on l’appelle «Didou» -, le couple Lachaize se prend à rêver d’une portée de petits bleus (comme nous les comprenons !…) et ils se mettent en quête d’un étalon. Ils comprennent vite que ce sera bien difficile, car la France est pauvre en chartreux en cette année 1960. Entre-temps, ils se sont  inscrits au Cat Club et Madame Ravel,  redoutable  présidente du Cat Club de Paris et de la FFF, leur déniche la perle rare… Elle les oriente vers Monsieur et Madame Lucas,  des particuliers grands amateurs de chartreux, habitant Paris, et dont la chatte vient d’avoir une portée. Dans cette portée, il y a un petit matou  très prometteur, selon Madame Ravel  qui s’y connaît bien ! Et c’est comme ça qu’en cette fin d’été 1960, Jimmbo entre dans la vie de Madame Lachaize. Il ne la quittera pas durant les dix-neuf années suivantes… Sa place favorite ? Sur son épaule!… Les photographies de ce beau chat hantent les murs du petit salon de Madame Lachaize : c’était vraiment un chartreux magnifique ! Rien d’étonnant à ce qu’il ait tant eu de succès en exposition et en élevage, à une époque où les chartreux «français» manquaient tant !

 

Très rapidement, la fièvre de l’élevage gagne les époux Lachaize et ils cherchent une autre petite femelle. Mais  vu la pénurie de sang chartreux  sur le territoire français, ils orientent délibérément leurs recherches dans la verdoyante campagne du Surrey, en Angleterre, chez Madame Richards, l’éleveuse de la chatterie «Pensylva». Même si les Lachaize ne sont pas des anglophiles à tout crin, ils reconnaissent aux Anglo-Saxons une grande qualité : ils ont un programme d’élevage commun et décident d’introduire très officiellement et de manière calculée et autorisée du persan à intervalles bien définis dans leur élevage de «chartreux» (british shorthair bleu), afin de renouveler le sang et d’améliorer régulièrement la qualité de la fourrure et la couleur des yeux. Et le résultat est attesté, surtout si on le compare au chartreux français dénaturé par la consanguinité : des chatons magnifiques en bonne santé, une très belle fourrure de «loutre», des yeux d’un or profond superbes…

 

Et voilà que la belle Pensylva Julia arrive à Chamalières à la chatterie de Fernine au début de l’été 1963. Elle aura un succès foudroyant en exposition, allant même jusqu’à gagner le premier prix en chartreux à l’exposition de Paris en 1964. Sur une photo, on  la voit, jolie frimousse «britannique» aux yeux un peu ronds et au léger stop nasal, mais une allure générale magnifique, hiératique, qui, combinée au «vrai» chartreux Jimmbo, allait donner une descendance réussie et…prolifique !

La mode –et surtout le goût de Madame Lachaize !- allant plutôt  à la robe claire (et Jimmbo était foncé), c’est Pensylva Noëlle Joyeuse, une mignonne british shorthair bleu crème qui rejoint quelques années plus tard, en 1967, le «staff reproducteur» de l’élevage de Fernine (qui n’a finalement  jamais compté que quatre chats : Idole de Bertouget, Jimmbo, Pensylva Julia et Noëlle Joyeuse), car Madame Lachaize espère bien obtenir de ce mariage bleu foncé-bleu crème des chatons à la robe bleu clair … Et c’est bien le cas.

 

Tous ont fait une  belle carrière en exposition : je l'ai constaté au vu de  leurs certificats de championnat et de championnat international que me montrait avec fierté l'ancienne éleveuse. Vichy, Paris, Ambérieu, Lausanne, Bruxelles, Verviers, Turin…le vrai tour d’Europe du chat de race !

Plus tard, deux autres chartreux complèteront la famille, mais ce sont des chartreux «maison», puisque Rosine de Fernine, née en décembre 1968 (c’est un cadeau que s’offre Monsieur Lachaize pour son «petit Noël» !) est la fille de Jimmbo et de Noëlle, et que Volvic de Fernine est né en 1972 de la dernière portée de Julia (et de l’élevage de Fernine !) avec Michou de Fernine, fils de Noëlle et de Jimmbo. Pourquoi une portée avec un autre étalon que Jimmbo ? Tout simplement parce que ce beau matou, trop vieux sans doute (il avait douze ans), avait beau couvrir ces dames tant qu’il pouvait, ses saillies ne portaient plus de «fruits» ! Et Madame Lachaize avait demandé à la propriétaire de Michou, Madame Bastide de l’élevage de Saint-Pierre, de lui prêter son «petit» pour la dernière portée de Julia…

 

Hormis Noëlle, sans doute plus fragile et morte d’un cancer à 13 ans, tous les chats de Madame Lachaize ont vécu  entre 17 et 20 ans. Jimmbo, lui, est resté «entier» jusqu’à la fin, en 1979, ne quittant guère les épaules de Madame Lachaize qui se souvient, émue, des moments privilégiés où elle donnait le biberon au premier de ses petits-enfants avec le vieux matou qui lui ronronnait sa déclaration d’amour à l’oreille… Rosine et Volvic n’ont jamais reproduit : ils ont honoré encore très longtemps, bien longtemps après la fin de l’élevage de Fernine en 1972, de leur présence chartreuse la mémoire de leurs célèbres ascendants et de toute leur parentèle féline… Mais Madame Lachaize n’a élevé que très peu de chatons, elle se souvient encore de toutes ces portées et l’on voit sur le mur au-dessus de son canapé, dans un beau cadre doré, une Pensylva Julia entourée de sept merveilleux bébés facétieux… Et elle se rappelle encore  le déchirement éprouvé  à chaque fois qu’un chaton quittait sa maison. Ce sont des raisons professionnelles qui l'ont obligée  à arrêter l’élevage, mais sans doute a-t-elle éprouvé quelque soulagement à ne plus vivre ce tristesse de la séparation sans cesse renouvelée…

 

Aujourd’hui encore, elle vit dans le souvenir de ses chats, Didou, Jimmbo, Julia, Noëlle, Rosine, Volvic, ils envahissent tous les murs de sa petite maison, seuls, en couple ou en groupe, veillant sur ses vieux jours comme ils ont veillé de leur vivant sur son foyer et sa famille… Plus de chartreux aujourd’hui, mais, ironie du sort ? un vieux chat de gouttière est apparu il y a quelques mois à sa porte, mendiant d’abord une caresse, puis de quoi manger…pour s'installer définitivement chez elle ! Renseignements pris auprès du voisinage, elle a su qu’il appartenait à une famille qui venait d'avoir un jeune chien peu amical avec les chats : ils étaient ravis que leur vieux matou se soit «recasé» de lui-même dans un foyer aimant. Et… savez-vous quoi ? Ce matou… il est…bleu !